SABOTAGE
Juillet
1997 - Atterrissage dans le Berry sur la commune de Pellevoisin, petit village près de Châteauroux avec mon épouse. Ma fille ainée, Virginie, y habite, elle vole sur Beech-200, CDB pour une importante entreprise.
Conformément à la
règlementation, le maire a été avisé, j'ai l'autorisation du
propriétaire des champs où l'atterrissage est possible en fonction
des moissons.
A peine posés pour le premier atterrissage dans la commune, nous avons la visite des gendarmes. Ils sont bien sympa ces gendarmes. Nous discutons d’aviation, je vais même leur donner un baptême de l'air à tous les deux.
J'ai aussi baptisé bien sûr, le propriétaire du champ, son frère qui possède d’autres terres atterrissables et toute la famille, dont la
grand-mère de 86 ans qui circule toujours en vélo tous les jours
dans la commune. Et le PDG de ma fille qui a un château non loin.
Aout 1998 - Nous avons atterri de nouveau à Pellevoisin,posés dans le champ juste à côté de la maison de Virginie. Nous nous y sommes déjà posés l’année précédente,
On ne peut pas se poser en avion dans un champ non agrée par l’aviation civile, mais le système ULM est très libéral, il suffit d’avoir l’accord du propriétaire et « d’aviser » la mairie, ce n’est même pas une autorisation.
Cette année la moitié des terres est en culture de maïs (malheureusement ) La température dépasse les 30°partout. J’ai eu avant de partir de Grenoble des petites ratées moteur que Mario, le mécano de Rans,représentant les ULM Coyote, attribue à du « vapor lock », un phénomène de vaporisation de l’essence dû à la chaleur. Il a fait peu de temps avant un réglage des carburateurs. (Il y en a 2 sur les moteurs Rotax).
J’ai
fait l’erreur de faire confiance en son diagnostic, il avait
assemblé ma machine quand il travaillait chez Philippe Zen.
Philippe m’a dit plus tard qu’il était très content que Mario
soit allé chez Rans, son concurrent, parce que c’est un mauvais à
qui il n’a jamais laissé toucher son moteur.
Notre fille cadette,
Sophie, 22 ans, nous a rejoints. Dans l’après-midi, décidant
d’aller faire quelques photos de la région, Sophie qui n’a volé
que très rarement en avion avec moi me demande de l’emmener. Nous
faisons quelques photos devant la machine avant d’embarquer.
Alignement et décollage dans les sillons du champ fraichement
labouré, le décollage se passe bien, mais au bout du champ en
commençant à survoler les maïs, des ratées moteur commencent.
J’agite la manette de puissance, et je rends la main pour
stabiliser la machine en vol horizontal.
Sophie
me demande :
«que se passe-t-il papa » ?
« Nous
sommes en panne… »
« Non…tu
rigoles… » ?
« Euh…non,
je ne rigole pas ».
Pendant ce temps la vitesse diminue, je suis obligé de nous laisser descendre au-dessus des maïs, j’essaye de virer doucement sur la droite vers une prairie bien dégagée. Le moteur tourne encore, mais à faible puissance et ça descend toujours. J’arrive au bout du champ de maïs, la vitesse diminuant encore, finalement je m’enfonce en décrochant dans cette masse verte avec une légère inclinaison, l’aile gauche accroche les tiges de maïs entrainant la machine dans un demi-tour rapide. L’hélice brasse le maïs, on voit voler du vert de partout et nous finissons notre course en marche arrière avec une immobilisation rapide. Tout cela n'a duré qu'à peine une minute depuis le décollage.

Contacts coupés, je dis à ma fille de se détacher et de sortir, car ça pourrait prendre feu. Sophie dans l’affolement a de la peine à défaire sa ceinture, je dois l’aider, puis nous nous éloignons un peu. Rien ne se passe. Sophie alors me dit :
« Papa, tu as cassé ton avion » ! Puis elle se jette dans mes bras : « j’ai eu peur » !
En y repensant, je trouve sympa qu’elle eût une pensée pour moi et mon ULM avant de penser à sa frayeur.
Il ne nous aura manqué que 30 mètres pour atteindre le champ voisin. Je décide d’aller à maison de Virginie pour organiser la suite des choses, le téléphone portable ne passe pas dans cette zone, je ne peux prévenir personne de notre accident, il faut traverser ce champ pour s’y rendre. Je commence à y aller à grands pas, Sophie me suis en se tordant les chevilles dans la terre meuble quand nous entendons des cris. Au milieu de ces maïs très hauts, nous ne voyons personne. Retour sur nos pas : je vois ma femme qui accoure vers moi complètement affolée, Virginie la suit.
Elles ont suivi notre décollage et nous ont vus disparaitre derrière la forêt en basse altitude et ayant entendu la baisse de puissance moteur, elles sont arrivées en catastrophe en voiture en contournant les champs par des chemins de terre. À un paysan présent sur les lieux, elles demandent s’il nous a vus atterrir.
Il répond : « c’est fini... ! »
Allez comprendre sa façon de parler, il a dû vouloir dire que l’atterrissage était terminé, mais ma femme et ma fille l’ont interprété autrement, d’où les cris que j’ai entendus. Une grande frayeur. Pas bon pour Virginie qui est enceinte.
Je fais ramener l’épave à Grenoble, et j’envoie les carburateurs en révision. Avirex, la société qui commercialise le moteur m’appelle pour me dire qu’ils ont un sérieux problème avec ces carbus : un coup de cutteur à endommagé une membrane, un joint est défectueux, le réglage des cuves n’est pas du tout dans les normes et pour tout arranger, les joints ont été collés à la colle Néoprène. (la colle se dissolvant au contact de l’essence peut tout obstruer).
Je
venais de faire réviser ces carburateurs par Mario juste avant de
partir.
Quatre fautes majeures pour une seule opération d’entretien. Mais, impossible de se retourner contre l’atelier, car en faisant
faire cette révision, j’ai « juridiquement » détruit
la preuve
Finalement,
la cellule ayant été trop endommagée dans ce crash, je la vends à
Philippe Zen, je garde le moteur et tous les instruments et je
commande une cellule de Skyranger, un autre modèle d’ULM, à Philippe
Prévost son concepteur.
C'est une machine simple, toute en tubes
boulonnés. Facile à assembler et facile à réparer, ce que nous
verrons plus loin.
Sophie
est diplômée d’une école supérieure de commerce, elle a
travaillé dans les meilleures boites de pub de Paris comme
commerciale. Responsable d’un budget pub pour l’Armée de l’Air
elle a présenté un projet à un colonel qui lui a dit :
« Mademoiselle,
vous ne pouvez pas connaitre les choses de l’air ».
« Mon
colonel, j’ai été élevée dans les vapeurs de kérosène et j’ai
l’expérience de m’être crashé dans un champ de maïs avec mon
père. Et vous, vous êtes vous déjà crashé…» ?