Mésaventures d'un Coyote dans le massif du Mont Blanc
Pâques
1996, avec Jean-Jacques, un élève « montagne », pilote
professionnel avion, nous venons de faire une tournée des sites de
montagne.
Partis
de Grenoble le Versoud, depuis le matin nous avons fait 17
atterrissages sur plus d'une douzaine d'altisurfaces ou glaciers,
pique-niqué dans la neige face au Mont Blanc sur le glacier de
Talèfre, marché dans la poudreuse enfoncés jusqu'au genoux. Tout
cela avec une météo de rêve : soleil , ciel bleu sans vent,
un vrai temps de printemps ou malgré le froid ambiant on se balade
en chemise sur les glaciers.
Après
notre pique-nique nous survolons le glacier de Leschaux, cette
branche de la mer de glace qui part du pied des Grandes Jorasses,
gigantesque muraille verticale de rochers. Il s'écoule sur des
kilomètres jusqu'à sa jonction avec le glacier du Tacul, pour
aboutir ensuite au dessus de Chamonix dans un déferlement de glace
immobile : la « mer de glace ». Nous l'avons
survolé le matin, la neige était vierge. Des traces
d'atterrissage sont maintenant visibles. Ce glacier n'est
normalement pas autorisé à l'atterrissage, mais jusqu'à une
certaine époque, les avions s'y retrouvaient assez régulièrement.
Il ne présente aucune difficulté particulière, pas très
pentu mais très long.
Je
décide de m'y poser à côté des traces de l'avion. La neige
est relativement molle, nous sommes à une altitude moins élevée
que sur le Talèfre ou elle était encore bien poudreuse, la
température extérieure est nettement positive, mais ça glisse
bien.
Décollage
dans la foulée sur l'élan. Face à la pente nous
entrons dans une zone ou la neige en sous-couche est très vaguée,
ce qui ne pouvait pas se voir pendant la reconnaissance.
L'accélération se fait laborieusement, les skis tapent dans les
vagues de neige qui nous ralentissent, ça tape assez fortement
et je crains pour notre train d 'atterrissage qui sur le Coyote
n'est constitué que d'un simple tube de chaque côté. Je sais
que bon nombre de pilotes les ont pliés dans des atterrissages un
peu durs et si ce n'est pas le tube qui cède, ce sont les
entretoises trop fragiles dans la cellule.
Puis
soudainement, blocage brutal, nous piquons du nez et passons
sur le dos. Je pense à dire à mon élève de se tenir en se
détachant pour ne pas se heurter la tête. J'ouvre la porte, je sors
avec précaution pour n'endommager ni la porte sur laquelle il faut
passer à genoux, ni l'aile. Et je vois
Jean-Jacques sortir de mon côté. ? La tête en bas, il
n'a pas trouvé la poignée de la porte de son côté dans cette
position inusuelle.

Nous
sommes à peine sur nos pieds que des randonneurs à ski nous
entourent. Une bonne dizaine. Il nous ont vu atterrir et nous
retourner, ils viennent nous secourir.
Un
avion passe au-dessus de nous, je l'appelle avec la radio portable
pour faire du stop. Je fais quelques « photos-souvenir »
Avec
les randonneurs, après avoir fait un trou au niveau du moteur pour
faciliter le retournement, nous le remettons sur ses skis. L'hélice
a une pale cassée mais il n'y a aucun autre dégât apparent à part
un léger pli dans la toile de la dérive dont un tube a été très
légèrement déformé. La neige molle a bien amorti les chocs. Une
vrai chance.
En
inspectant la machine, je constate que le câble de retenue du ski
avant droit a cédé. La cosse de sertissage du câble a été
mal serrée ou serrée avec une mauvaise pince. C'est
pourtant un atelier agréé aéro qui a fait le montage. (Le
gérant acceptera de me dédommager de mes frais, mais avant que mes
factures ne soient réglées, il déposera le bilan.)
Un
Mousquetaire de Megève se pose et emmène Jean-Jacques. En attendant
qu'il revienne me prendre, je remplace le câble par un bout de corde
de montagne (toujours à bord), je démonte ce qui reste de l'hélice
et procède à un contrôle minutieux. (Utile d'avoir un minimum
d'outillage à bord). Je fais tourner le moteur au ralenti. Tout à
l'air correct. La météo n'annonce pas de vent pour le
lendemain, je peux laisser tel quel le Coyote passer la nuit sans
amarrage.
Le Mousquetaire revient
me prendre. Avec sa masse triple de celle du Coyote, les skis
écrasent les vagues de neige sous-jacentes, nous sentons à peine
les irrégularités de terrain.
A
Megève, par chance encore, un ami de Jean-Jacques nous prête un
véhicule pour rentrer à Grenoble. Il peut ainsi rentrer chez
lui tranquillement après avoir récupéré sa voiture au
Versoud.
Le lendemain,
je retourne à Megève avec une hélice que j'ai en rechange,
heureuse précaution. Je rends la voiture empruntée, et le
Mousquetaire me dépose à côté du Coyote avec mon hélice tripales
démontée.
Il est 9 heures et
demi, le glacier est encore complètement dans l'ombre, il fait
froid. Le Mousquetaire s'en va, je me retrouve tout seul sur
cette immensité de neige entouré de hautes montagnes dans un
silence total. C'est très
impressionnant. !
Je fais
tourner le moteur avec la nouvelle hélice puis j'entreprends de
dégager les skis de la neige à laquelle ils sont soudés. Cette
neige molle de la veille à gelé dans la nuit emprisonnant les skis
dans une gangue de neige glacée. Cette glace colle à la
semelle des skis. Je n'avais pas prévu cela, je n'ai que
ma pelle. Il faut procéder par étapes en creusant des ponts sous
les skis. J'ai passé près de deux heures à dégager à
mains nues les grattons avant d'envisager de pouvoir décoller avec
une bonne glisse.
Pour
ne pas renouveler l'expérience de la veille, bien que la neige
soit encore dure, il est près de midi, je descends doucement le long
du glacier au moteur à la recherche d'un zone parfaitement plane.
Quelques centaines de mètres plus bas, une belle « piste »
s'offre à moi.
Seul
à bord et avec peu d'essence, la glisse est bonne, je suis en l'air
très rapidement.ouf ! Un peu stressant quand même ce
décollage bien que techniquement sans difficulté, mais l'expérience
de la veille pèse encore.
Que
dire de cette mésaventure ? Nous étions bien
équipés pour éventuellement passer la nuit sur le glacier, dans
l'hypothèse ou des secours ne seraient pas intervenus, ou, en
raquettes, suivre les traces des randonneurs vers la vallée blanche
et le funiculaire du Montenvers, nous avions le temps de le rejoindre
avant la nuit.
Concernant
l'atterrissage : une neige vaguée sous une couche de neige
fraîche est indécelable avant l'atterrissage, seule une pratique
régulière des lieux, ou une bonne information par d'autres pilotes
peut vous éviter des désagréments.
Facteurs
humains : après un crash, les réactions des passagers peuvent
être imprévisibles. Sur le dos, on cherche une poignée de porte au
mauvais endroit, ou on ne sait plus se détacher, ce qui est arrivé
à un autre de mes passagers après un atterrissage forcé en
campagne.
